La coupe 3/5

Un choix lourd de sens.

Attention spoiler, tu devrais lire les deux articles précédents pour mieux comprendre celui-ci…

Les tissus ? In the pocket.

La production…  TexWord n’étant pas pour moi, j’ai ressorti mes bouquins de modélisme et je me suis remis au patronage. J’avais l’impression de tout reprendre à zéro. Même si j’étais très bon en modélisme à l’époque, il m’a quand même fallu un petit temps d’adaptation afin de réacquérir la logique du truc. Mes premières pièces n’étaient pas super bien coupées…

C’est logique, lors de mes premières années de carrière je me suis perfectionné sur le processus de création, l’élaboration des tendances, le lancement de produits à fort potentiel de vente, mais je n’avais pas touché un seul patronage durant de longues années.

J’ai longtemps songé à poursuivre mes études pour parfaire ma technique, et surtout qu’entre-temps je suis littéralement tombé amoureux de l’art du Tailleur traditionnel. Mais je venais de me marier avec Agathe et il m’était impossible pour des raisons géographiques et financières de reprendre deux années d’études.

Et alors ?! J’avais remarqué que tous les grands ateliers tailleur avaient une page Instagram, et ils avaient compris l’importance du « work in progress » dans la communication et ça, bien avant les autres. Quand les grandes maisons de mode postaient une énième campagne marketing, eux postaient une photo du premier coupeur en train de tracer une tête de manche, ou une vidéo de l’apiéceur en train de piquer un revers.

C’est du putain de pain béni Instagram quand tu sais où regarder !!

En deux ans d’espionnage de ces maisons et d’application de leurs précieuses astuces, j’arrivais à faire des vêtements convaincants dans lesquels on se sentait bien. Comme j’ai toujours porté mes prototypes je peux attester qu’ils vieillissent merveilleusement bien. A l’heure où j’écris cet article, je porte l’une de mes toutes premières chemises qui doit avoir pas loin de 5 ans, et elle n’a pas pris une ride ! Il était donc temps de me jeter à l’eau et de créer ma première collection.

De patronage en patronage, de prototype en prototype, ton œil s’aiguise et ton sens de l’aplomb se développe. Je ne me prétends pas du tout tailleur, je suis qu’un simple couturier mais ce que j’ai appris avec leur aide et ce que je continue à apprendre me permet d’explorer des pistes techniques que je n’aurais jamais osé emprunter avant.

Le simple fait de tracer une veste de costume, plutôt que d’élaborer une fiche technique avec un tableau de mesure, t’oblige à te questionner sur l’utilité qu’on a d’une veste en 2019. Dans quelles circonstances la porte-t-on ? Pourquoi ? Que recherche-t-on en l’achetant ? Du style ? Du confort ? Comment le client s’habillait-il avant de s’orienter vers un costume ? Le patronage dépend de tout ça !

Et qui dit client dit une cible, toutes les personnes qui t’accompagnent quand tu crées un business te cassent la tête avec cette question «  C’est qui ta cible ? ». Au début, tu pars dans des trucs génériques du genre « Ma cible, c’est le working boy ou la working girl moderne qui bosse à la Defense, de tel âge à tel âge, qui se sent libre et qui est self-made… » C’est de la merde en boite ! C’est beaucoup trop générique, en plus de ne vouloir rien dire c’est la cible de tout le monde !

Et on continue à te prendre la tête avec cette p**** de cible, comme si il existait des supermarchés de cibles où tu passes avec un cadie et tu dis « Hum… Elle est bien cette cible, elle a de la gueule, je la prends. C’est combien ? » Je me suis libéré le jour où j’ai arrêté de réfléchir comme un diplômé d’école de commerce, et que j’ai accepté le fait que j’étais un créatif. Et j’ai réalisé depuis que c’était moi que j’avais envie d’habiller, moi et les gens qui partagent mes valeurs.

 

Ceux qui se retroussent les manches pour écrire leur destin plutôt que de le subir. Ceux qui ont passé leur jeunesse en survêtement parce que c’était plus pratique pour courir (Les plus vieux d’entre vous se rappellerons du sketch de Jamel Debbouze « pourquoi tu cours, et toi pourquoi tu cours… mais je saiiissss passss !! ») Ceux qui n’ont pas envie ni d’entrer dans un moule vestimentaire pour respecter la norme ambiante, ni d’en changer tous les deux ans « parce que c’est comme ça la mode, ça va vite !». Et surtout celles et ceux qui entrent dans la vie active et qui sentent l’importance du vêtement pour leur crédibilité, mais qui sous aucun prétexte ne seraient prêts à renoncer à leur identité sociale en endossant un deux-pièces qui n’a pas bougé depuis 1929.

En parallèle de cela, fort de cette réflexion, j’avais beaucoup de mal à élaborer une veste de costume parfaitement entoilée qui me satisfasse. Et si je ne maitrise pas un minimum la pièce que je propose, c’est impossible pour moi de la sortir en collection !  Alors j’ai contourné l’obstacle technique en développant une veste de costume en occultant complètement la toile intérieure et le thermocollant. J’ai passé mon enfance dans des survêtements et comme tu le sais, on s’y sent bien. Alors plutôt que de voir la veste avec l’œil d’un « tailleur » j’ai essayé de la regarder avec le regard d’un équipementier sportif.

J’ai réduit au maximum les emmanchures pour que la manche emboîte parfaitement le bras pour un maximum de confort, j’ai travaillé autour de la matière technique pour le clin d’œil. Comme je ne savais pas faire les boutonnières à la main, et que les boutonnières industrielles sont dégueulasses (ou trop parfaites, ce qui les rends dégueulasses) j’y ai posé des boutons pression. Sur les pantalons, j’ai supprimé les coutures côtés pour un maximum d’aisance. Et voilà qu’en découle mon premier costume signature, avec une veste d’une légèreté incomparable. C’est ainsi que, d’une difficulté, on crée une force.

Mais impossible de rester sur une défaite avec cette fichue toile tailleur ! J’ai acheté un volume de toile, de crin et de ouatine (ce sont les éléments que l’on met à l’intérieur d’une veste ou d’un manteau pour lui donner de la tenue dans le prêt à porter haut de gamme ou de luxe, contrairement aux thermocollant décevant qu’on trouve dans les produit bas de gamme ou moyenne gamme qui se décolle après trois averses).  Je me suis exercé à piquer à la main puis repiquer encore, et j’ai décidé de laisser cette technique uniquement pour les grosses pièces et manteaux pour leur donner du corps et leur permettre de souligner charisme et stature sur la silhouette.

Bref, la coupe ce n’est pas un truc à prendre à la légère, et ça doit être adapté à la personne qui le porte. Pas seulement à sa morphologie, c’est là l’erreur qui se fait dans ce business, elle doit aussi et surtout prendre en compte son mode de vie et sa personnalité. Pour moi, c’est le plus important ! Alors lorsque tu recevras ta pièce, prends le temps de l’observer, compare-la aux autres vêtements que tu possèdes, regarde les différences, essaie-la et n’aie pas peur de la porter car elle n’a certainement pas été conçue pour squatter ton dressing !

 

Comme nous ne sommes pas sur YouTube et que je ne peux pas te demander de mettre un petit pouce bleu, je t’invite à commenter cet article pour me dire ce que tu en p

3 Comments

  1. J'aime beaucoup ta vision des choses, de ne pas être dans la marche à suivre générale,et de créer la tienne. C'est la preuve d'une grande créativité👍
  2. Heureuse de voir ta progression et de LIRE ce que tu ressens et nous dire les mots que tu mets sur ton processus de recherche. MERCI BEAUCOUP cher Salim, j'espere bientôt pouvoir offrir une de tes vestes a mon amoureux 😘 Très très heureuse de suivre ta progression. Je t'embrasse bien fort et bisous à la belle Agathe 😘😍

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