Micro séries confidentielles et pièces uniques 4/5

Si tu as lu les trois premiers articles, tu te rappelles que j’ai décidé de m’abstenir d’acheter mes tissus dans le « circuit traditionnel », et que pour la production, j’avais dû me former pour la prendre moi-même en charge. Même si ces façons de faire se sont imposées à moi, je dois avouer avoir pris énormément de plaisir en testant mes produits et j’ai libéré ma conscience en réalisant que l’empreinte carbone de mes créations était très faible, une façon de joindre l’utile à l’agréable.

Mais si ça vaut pour un rentier amoureux de mode qui a le temps de se faire sa propre garde-robe, qu’en est-il pour quelqu’un qui veut monter un business ?

A force de porter mes prototypes pour tester la qualité des tissus et la robustesse des finitions, les coupes s’améliorant au fur et à mesure, on me complimentait et on me passait commande. Je devais donc aller à Paris racheter des tissus mais je n’avais pas réalisé une chose pourtant essentielle :

Lafayette Saltiel Drapiers

Ce sont des restes de stocks, ces magasins récupèrent des lots, mais une fois que le lot est écoulé, impossible d’en recommander. Leur approvisionnement repose uniquement sur la volonté qu’à une maison de se débarrasser de son stock mort. Et comprendre ça alors ton projet commence à prendre de l’ampleur remet tout en question. Est-ce que tu dois reconsidérer le fait d’acheter des stocks morts de tissus et retourner à Première Vision t’approvisionner pour avoir un suivi sur les matières, ou y a-t-il une solution pour contourner ce problème ?

Alors que l’urgence était de trouver une nouvelle manière de s’approvisionner, le matin en m’habillant je n’étais obnubilé que par la crainte de croiser un client avec les mêmes habits que moi. C’est que j’avais vraiment pris plaisir à porter des vêtements que nulle autre personne au monde ne possède.  Mon problème de tissu était carrément passé au second plan, en plus, j’avais beaucoup de mal à « laisser partir mes bébés » j’avais l’impression de vendre une partie de moi-même lorsque j’honorais une commande, alors les cloner n’en parlons pas…

Et si finalement j’acceptais d’être conditionné par un stock restreint en matière première, pourquoi ne pas restreindre mes clients à de très faibles quantités de vêtements ? Pourquoi d’instinct veut-on toujours voir plus haut, penser plus grand ? Pourquoi toujours s’enfermer dans ce prisme de la surconsommation, qui me pousserait à toujours produire plus dans l’espoir de vendre plus ?

Bullshit ! Pour être honnête, je dois avouer que je n’étais surtout pas prêt à voir d’autres personnes porter les mêmes fringues que moi, plutôt que d’envisager les choses avec un prisme anticonsumériste ! Alors j’ai décidé de faire des collections exclusives pour garder la maîtrise de ce que j’ai choisi de porter, et offrir cette sensation merveilleuse que tu ressens lorsque tu portes une pièce dont tu es le seul propriétaire. D’autant plus que je produis moi-même, je ne suis pas contraint à des minimums de production contrairement à d’autres marques, c’est même le contraire, alors autant en faire une force.

C’est ainsi que s’entraperçoit le moyen/long terme, ces petits imprévus ou autres réflexions de dernière minute ne peuvent que conditionner l’avenir de ce type de projets. Plutôt que de chercher désespérément usines ou autres façonniers pour accroître mes capacités de production, je préfère désormais mettre mon énergie à l’élaboration de capsules toujours plus créatives et continuer à proposer des pièces dans des quantités très exclusives. Il ne m’est désormais plus envisageable d’externaliser ma production, j’ai pris goût à la maîtrise de ma chaine de valeur. Aujourd’hui je cherche plutôt à progresser pour proposer des vêtements toujours plus pointus, c’est précisément lors de cette réflexion que j’ai acquis la certitude de vouloir créer une maison de couture plutôt qu’un studio créatif prêt-à-porter, là est toute la subtilité.

Dans le prochain article, j’évoquerai pourquoi j’ai décidé de ne pas suivre les calendriers du prêt à porter.

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